Non mais quel connard. Il n’a qu’un truc à faire le mercredi, me récupérer à 11h45, mais non, la plupart du temps, monsieur est en retard. Je pourrais aisément rentrer seule, mais si je me risque à faire ça, c’est lui qui prendra et je ne donne pas cher de ma peau après ça, du coup, je suis condamnée à attendre qu’il veuille bien arriver. 

Après notre petit duel de regard noir, le trajet s’est passé comme d’habitude dans le silence, enfin presque, puisque Kieran a mis sa musique de merde à fond. Arrivés devant la maison, je sors en trombe et excédée, je claque la porte de la voiture. À mes risques et périls.

- Sale gamine, fait gaffe à ma caisse.

Je ne fais pas attention à sa remarque, nous arrivons dans la cuisine et nos parents sont déjà à table.

- Vous en avez mis du temps les enfants fait remarquer Sam.

- C’est Soléa qui pinaillait avec ses copains dehors.

Quoi ?? Je me tourne vers Kieran, furieuse, mais putain n’arrêtera-t-il jamais de faire de ma vie un enfer ? Je le bouscule et prends la direction des escaliers.

- Soléa, tu ne viens pas manger ? demande ma mère quand je passe la porte.

Je ne réponds pas, et ce n’est pas dans mes habitudes, ce sont plutôt celles de mon demi-frère. Je voudrais hurler sur tout le monde, claquer toutes les portes, et pleurer, mais je me contiens. 

Sa poigne de fer m’attrape le bras pour me retourner violemment, il me coince contre le mur.

- Qu’est-ce qu’il te prend petite insolente ?

- Fous-moi la paix du con.

- La prochaine fois, fais attention à ma caisse petite conne, sinon t’utiliseras tes pieds pour aller au bahut.

- Aucun problème, je préférerais de loin marcher que d’être avec toi en voiture.

Son regard émeraude est perçant. Un petit sourire satisfait plaquer sur sa figure me donne envie de le gifler, ma main réagit plus vite que mon cerveau et se lève furtivement, mais il m’arrête en chemin en tenant fermement le poignet.

- Tu croyais faire quoi au juste ? 

- Te gifler, je te déteste.

Un rire narquois naît au plus profond de sa gorge, ça me rend encore plus furieuse.

- Les parents m’envoient te chercher, miss parfaite ! J’suis le larbin de personne, alors tiens-toi à carreaux, je n’ai pas envie de te courir après dans toute la maison et descends.

- Tu me le payeras Kieran.

- Ouai, sûrement !

Il me lâche et malgré la furieuse envie de le tuer, je rejoins nos parents qui attendent sans doute, une explication à mon comportement. Kieran sur mes talons.

- Kieran, va chercher ta sœur s’il te plait ! m’intime mon père.

- Ça va elle est assez grande…

- Ne discute pas.

Putain, cette gamine commence vraiment à me faire chier. Voilà que je dois jouer les nounous maintenant et la rattraper, je monte les escaliers en vitesse et la plaque contre le mur.

Après la petite session « rebelle » de Soléa, elle finit par m’écouter et arrive dans la cuisine, mon père, fidèle à lui-même, plutôt à cheval sur les bonnes manières, a revêtu son regard autoritaire. Moi ça fait belle lurette qu’il ne m’effraie plus, mais il continue de fonctionner sur Soléa. Qu’elle andouille.

- Quel est se manque de respect qui t’as poussé à partir alors que ta mère te posait une question ?

- Je suis désolé Samuel, ça ne se reproduira plus.

- Je préfère ça, maintenant passez à table tous les deux.

Nous nous exécutons et commençons à manger. Après avoir débarrassé la table, les parents nous interpellent.

- Nous serons absents tout le week-end. Nous vous faisons confiance comme d’habitude, Soléa, tu es puni, pas de sortie, Kieran veillera au grain.

Soléa est surprise, elle me lance un regard de feu, pour une fois, je suis d’accord avec mon père ! Je souris avant de lui répondre.

- Pas de problème p’pa !

- Vous pouvez vaquer à vos occupations.

Ma demi-sœur est furieuse, j’adore la voir dans cet état, je la suis de près dans les escaliers, je ressens sa tension, s’en est presque jouissif. J’en rajoute une couche.

- T’as entendu soeurette, c’est moi le boss ce week-end ! 

- Ta gueule !

Elle me fait un doigt avant de rentrer dans sa chambre, son petit nez retroussé en trompette, je ne peux m’empêcher de sourire comme un con. 

Enfin un week-end tranquille, ce n’était plus arrivé depuis au moins 1 mois, je vais pouvoir faire une petite fête avec deux/trois copains, pendant que mademoiselle sera coincée dans sa chambre. Elle a voulu jouer, elle a perdu !

Je m’affale sur le canapé, j’allume ma chaîne hi-fi, son plutôt fort et je lance mon jeu vidéo pour me détendre. 

Pendant un combat important, la porte de ma chambre s’ouvre en trombe sur le visage de ma sœur, toujours en colère, elle s’avance et éteint la musique puis repart comme elle est venue. La sale petite pute, je vais la tuer. 

Punie. J’étais punie par sa faute. Je le détestais. Ce week-end, il allait encore inviter ses copains et des filles. Je serais condamnée à rester dans ma chambre.

Insupportable. C’est l’adjectif qui qualifie le mieux la musique de Kieran. Je déteste le rap. Et là, c’est à fond, et ça résonne dans tous l’étage. Je n’arrive pas à me concentrer sur ma dissertation. Je jette mon stylo sur le bureau et court de l’autre côté du couloir. 

J’ouvre la porte en grand, il est posé sur son canapé, à fond dans son jeu vidéo, je m’approche de la chaîne hi-fi et je la coupe. Puis je repars dans ma chambre. J’ai à peine passé la porte qu’il déboule derrière moi, il est furax. J’adore le voir comme ça, même s’il me fait peur, ça veut dire que moi aussi, je peux lui rendre la vie impossible, et ça me fait doucement rigoler.

- Sale petite pute, qui t’a dit d’entrer dans ma chambre ?

- J’en peux plus de ta musique Kieran, c’est de la merde et c’est trop fort. 

Il s’approche de moi, aussi fou que le chapelier d’Alice au pays des Merveilles, il me pousse sur le lit et se met au-dessus de moi, tenant mes bras fermement en hauteur.

- Tu me fais mal Kieran, arrêtes ça tout de suite. 

- N’entre plus jamais dans ma chambre. T’as compris ?

- Lâche-moi.

- T’AS COMPRIS ?

- C’est bon ! Lâche-moi maintenant.

Il m’a relâché et il est parti, me laissant déboussolée sur mon lit, les poignets endoloris. Jamais il n’avait été aussi violent envers moi. L’instant d’après la musique de rap était de retour dans tout l’étage. J’ai jeté l’éponge et je suis partie prendre un bain, j’avais vraiment besoin de me détendre.

Le vendredi soir, après le lycée, Kieran m’a déposée à la maison, non sans me rappeler que je n’avais pas le droit de sortir. Bouffon. J’étais donc seule, j’ai commencé par faire les devoirs que j’avais écrits pour le lundi puis j’ai fini par descendre prendre un petit en-cas bien mérité. 

J’ai mis la chaîne hi-fi à fond avec ma musique, plutôt style techno. Rien à voir avec la musique de mon demi-frère. Je me suis servi un jus d’orange et des cookies. Bref, l’instant d’après mon uniforme épongeait goulûment le jus que je m’étais renversé dessus.

- Fais chier !

Je me suis rendue dans la buanderie et j’ai enlevé ma veste, de la porte entrebâillée me parvenait la musique, je me déhanchais gaiement, c’était le seul moment où je pouvais un peu arrêter de penser au reste de ma vie. J’ai réfléchi deux minutes, Kieran était au foot, il ne rentrerait pas avant un moment. J’ai enlevé tous mes habits pour les mettre dans la machine. 

J’étais penchée pour mettre la lessive et démarrer la machine quand la porte s’est ouverte sur Kieran. Je me suis relevée, tentant, tant bien que mal de me cacher de lui. 

Quel putain de mauvais sort me suivait pour faire de ma vie un véritable enfer ?

Après le lycée, j’ai récupéré Soléa puis je l’ai déposé à la maison. J’étais dans un bon jour, et j’avais promis de veiller au grain, il fallait que je lui rappelle qu’elle était consignée à résidence !

- N’oublie pas que tu n’as pas le droit de bouger de la maison, soeurette ! 

Elle n’a pas répondu, mais je voyais dans ses deux yeux gris/bleus et à son petit nez froncé que je l’avais rendu furieuse. Content, je suis reparti à mon entraînement de foot.

Je n’étais pas du tout motivé aujourd’hui, je n’avais qu’une idée en tête, préparer ma petite fête de demain soir. J’ai tapé quelques balles puis j’ai fini par aller prendre une douche et partir.

Quand je me suis garé sous l'auvent, le soleil déclinait dans le ciel, il allait bientôt faire nuit. Plus je m’approchais de la maison et plus la musique se frayait distinctement un chemin jusqu’à mes oreilles. De la techno, le style dérangé de ma demi-sœur. Moi aussi, je pouvais bien aller éteindre sa musique de merde, mais pour le moment, je voulais lancer une machine avec mes affaires de sport, qui avaient, vraisemblablement, sautées un tour de lavage vu l’odeur de charogne qui se dégageait de mon sac.

En poussant la porte, j’étais à mille lieux de me douter que j’allais tomber sur ce spectacle.

Elle était de dos, penchée en avant, ses longs cheveux blonds étaient défaits et tombés comme une cascade d’or sur ses épaules, elle s’est relevée en vitesse essayant, tant bien que mal de cacher sa nudité. Elle était plutôt bien proportionnée et ultra gênée.

Où étais-je ces dernières années pour ne pas avoir remarqué que la petite fille avec qui je partageais les bêtises était devenue une belle jeune femme plutôt sexy ? 

- Qu’… Qu’est-ce que tu fais là Kieran ?

Sa question m’a fait sortir de mes rêveries, mes yeux rivés aux siens, j’ai réfléchi à toute vitesse et j’ai fait la seule chose que je sais faire, être un con.

- Et toi ? Qu’est-ce que tu fous à poil dans la baraque, ça va pas la tête ? Va t’habiller.

Elle s’est mise à courir et je n’ai pas pu m’empêcher de regarder son cul déguerpir à toute vitesse. J’ai dégluti. Et la pire chose qui pouvait m’arriver s’est produite, j’ai remarqué que de la voir comme ça ne m’avait pas laissé indifférent. 

Non, mais qu’est-ce qu’il n’allait pas chez moi, bordel. Cette fille était ma sœur, sœur que je trouvais insupportable et que je détestais du plus profond de mon être, mais putain, une sœur qui était bandante. 

J’ai jeté mon sac au sol et je me suis dirigé jusqu’à la chaîne hi-fi qui reproduisait encore la musique techno, je l’ai arrêté et je suis sorti. J’ai retiré mes habits et j’ai piqué une tête dans la piscine, l’eau était froide, mais c’est exactement ce qu’il me fallait pour faire redescendre la pression. 

Il était là, devant moi, me reluquant sans pudeur, son regard sur moi réchauffait ma peau. Est-ce qu’il était en train d’apprécier ce qu’il regardait ? J’ai secoué la tête pour me sortir ces pensées impures de la tête et j’ai bégayé comme une idiote.

- Qu’… Qu’est-ce que tu fais là Kieran ?

Comme si ma question l’avait fait revenir au moment présent, il a levé les yeux et semblait chercher sa réponse, pourquoi n’étais-je pas surprise quand il s’est comporté comme d’habitude.

- Et toi ? Qu’est-ce que tu fous à poil dans la baraque, ça va pas la tête ? Va t’habiller.

Je me suis sentie si stupide que j’ai couru à l’étage pour me réfugier dans ma chambre. Je me suis jetée sous la douche, j’avais besoin d’eau glacée pour apaiser le brasier qui me consumait de l’intérieur. 

C’était mon frère et l’espace de cet instant, il n’était plus que Kieran, le beau brun ténébreux qui faisait tourner la tête de toutes les filles. Et apparemment, la mienne, y compris. N’importe quoi. Ce moment était plus que gênant, jamais de toute ma vie, je n’avais vécu pareil gène. 

J’ai entendu la musique de Kieran qui venait de sa chambre, je savais qu’il n’allait pas bouger de sitôt. Je suis vite descendue chercher des réserves dans la cuisine. Il avait nettoyé ce que j’avais laissé avant de me retrouver coincée dans la buanderie devant son regard perçant. C’était plutôt une gentille attention de sa part, pour une fois, j’avais envie de dire.

J’ai pris quelques trucs à grignoter et je suis remontée, au moment où je fermais ma porte celle de mon demi-frère s’ouvrait. Ouf, juste à temps. 

J’ai sorti mon PC portable et je me suis callé sur mon lit devant Netflix, j’ai commencé par regarder les derniers épisodes des séries que je suivais, puis j’ai enchaîné avec des films. La musique de Kieran s’est éteinte vers 1h30, ce mec ne respectait vraiment rien, ni personne. 

Le film que j’avais mis commençait plutôt bien, jusqu’à ce que l’héroïne perde son père brutalement, je me suis revu 12 ans en arrière, deux jours avant de fêter mes 6 ans, quand on m’a dit que papa ne rentrerait plus à la maison. 

J’ai commençait à pleurer, comme je le faisais quand la douleur était insupportable, et que ma seule option était de laisser ce flot de larmes jaillirent de mes yeux. J’ai coupé le PC et je l’ai posé par terre, me roulant en boule dans mon lit, j’ai continué à pleurer son absence, sa perte. 

J’ai fini par m’endormir, mais même dans mes rêves, le vide qu’il avait laissé en moi se faisait sentir. Je percevais l’agitation de mon sommeil, je baignais dans la sueur et j’ai senti ses deux mains sur mes épaules.

- Soléa, réveille-toi, tu fais un mauvais rêve.

Arrachée de mon cauchemar, j’ai refait surface, difficilement. Mon souffle était court, mon cœur était serré, j’ai commencé à pleurer, encore. Contre toute attente, Kieran était assis à côté de moi, il me prenait juste dans ses bras.